Cry baby...T_T

22 janvier 2009

"[...]A force de tourner en rond, elle trouve chez Véronique une compilation de Janis Joplin, en CD... Madame Joplin sur une énorme moto, toute rigolarde, regarde l'objectif.
Gloria met le CD dans la chaîne, tout doucement, puis s'accroupit entre les deux enceintes. Elle cherche à se concentrer sur la musique, évacuer le reste et se remplir de son.
Combien de fois, dans combien d'occasions très diverses, s'est-elle repliée sur elle-même, exactement comme cette nuit là? Elle écoute Janis Joplin depuis qu'elle est gamine. Accompagnée, comme par une grande soeur.
Au début des années 80, une fille qui bossait sur le marché, une ancienne, à cheveux orange, perfecto trop usé la classe, lui avait dit que c'était la chef des filles perdues, Janis Joplin. Elle lui avait conseillé d'en faire sa sainte perso, en cas de peine de coeur, ou bien quand elle cherchait de la dope et n'en trouvait plus nulle part, ou quand elle cherchait un appartement et qu'elle flippait de dormir dehors, ou si elle voulait trop un job. Bref, en toutes occasions, il fallait faire un petit autel, pour Janis, la déesse urbaine, allumer des bougies et mettre des offrandes, genre un gros joint, une canette de Kro, un joli porte-jaretelles, à voir, selon la prière et l'humeur du moment... Gloria avait croisé cette fille à une fête après un concert des Stranglers et de Kas Product, au jazz festival pulsation; elle avait avalé deux boites de "Mercalm", cachets contre le mal de mer censés faire planer mais qui l'avaient juste fait dormir, assise, tête sur la table. Quand elle avait émergé, elle avait discuté avec les gens qui restaient à la fête. Elle n'avait jamais su si l'ancienne était top barrée, ou si elle se foutait de sa gueule. Elle ne l'avait jamais recroisée pour le lui demander. En tout cas, l'idée lui avait plu, et souvent dans sa vie elle avait construit des petits autels pour que Janis, patronne des filles sauvages qui sont trop à la masse, lui vienne en aide. Elle avait acheté un premier vinyle d'occasion, choisi en fonction de la pochette de Crumb, qu'elle avait longtemps laissé traîner en vue, pour se donner un genre "cultivée du rock". Et, à force de faire semblant, Gloria avait fini par être sincèrement touchée, puis soutenue, par les morceaux. [...]"

Extrait de Bye Bye Blondie ,de Virginie Despentes